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est universellement reconnue de nos jours, une nouvelle m'avait autrefois beaucoup plu. Elle
s'intitule Le pommier et montre de façon pénétrante comment il n'est plus place, dans notre vie
civilisée d'aujourd'hui, pour l'amour simple et naturel de deux êtres humains.
Sigmund Freud (1929), Malaise dans la civilisation (trad. française, 1934) 34
drait à suivre d'autres voies. Peut-être est-ce là une erreur ? Il est difficile de se
prononcer 1.
1
Voici quelques remarques à l'appui de cette hypothèse. L'homme est lui aussi un animal doué
d'une disposition non équivoque à la bisexualité. L'individu correspond à une fusion de deux
moitiés symétriques dont l'une, de l'avis de plusieurs chercheurs, est purement masculine et l'autre
féminine. Il est tout aussi possible que chacune d'elles à l'origine fût hermaphrodite. La sexualité
est un fait biologique très difficile à concevoir psychologiquement, bien qu'il soit d'une extraor-
dinaire importance dans la vie psychique. Nous avons coutume de dire : tout être humain présente
des pulsions instinctives, besoins ou propriétés autant masculines que féminines ; mais l'anatomie
seule, et non pas la psychologie, est vraiment capable de nous révéler le caractère propre du «
masculin , ou du « féminin ». Pour cette dernière, l'opposition des sexes s'estompe en cette autre
opposition : activité-passivité. Ici c'est alors trop à la légère que nous faisons correspondre
l'activité avec la masculinité, la passivité avec la féminité. Car cette correspondance n'est pas sans
souffrir d'exceptions dans la série animale. La théorie de la bisexualité demeure très obscure
encore et nous devons en psychanalyse considérer comme une grave lacune l'impossibilité de la
rattacher à la théorie des instincts. Quoi qu'il en soit, si nous admettons le fait que, dans sa vie
sexuelle, l'individu veuille satisfaire des désirs masculins et féminins, nous sommes prêts à
accepter aussi l'éventualité qu'ils ne soient pas tous satisfaits par le même objet, et qu'en outre ils
se contrecarrent mutuellement dans le cas où l'on n'aurait pas réussi à les disjoindre ni à diriger
chacun d'eux dans la voie qui lui est propre. Une autre difficulté provient de ce qu'un appoint
direct de tendance agressive s'associe si souvent à la relation érotique entre deux êtres, indépen-
damment des composantes sadiques propres à cette dernière. A ces complications, l'être aimé ne
répond pas toujours par autant de compréhension et de tolérance que cette paysanne toute prête à
se plaindre que son mari ne l'aime plus, parce qu'il ne l'a pas battue depuis une semaine.
Mais l'hypothèse allant le plus au fond des choses est celle qui se rattache aux remarques
exposées dans la note de la page 49. Du fait du redressement vertical de l'être humain et de la
dévalorisation du sens de l'odorat, non seulement l'érotique anale, mais bien la sexualité tout
entière aurait été menacée de succomber au refoulement organique. De là cette résistance
autrement inexplicable à la fonction sexuelle, résistance qui, en en empêchant la satisfaction
complète, détourne cette fonction de son but et porte aux sublimations ainsi qu'aux déplacements
de la libido. Je sais que Bleuler (La résistance sexuelle, Revue annuelle d'études psychanalytiques
et psychopathologiques (Jahrbuch für psychoanalyt. und psychopathol. Forschungen,t. V, 1913),
a attiré un jour l'attention sur l'existence d'une telle attitude de refus à l'égard de la vie sexuelle.
Tous les névropathes, et beaucoup de non-névropathes, sont choqués par le fait que inter urinas et
faeces nascimur. Les organes génitaux dégagent aussi de fortes odeurs qui sont intolérables à un
grand nombre et les dégoûtent des rapports sexuels. Il s'attesterait ainsi que la racine la plus
profonde du refoulement sexuel, dont les progrès vont de pair avec ceux de la civilisation, résidât
dans les mécanismes organiques de défense auxquels la nature humaine eut recours, au stade de la
station et de la marche debout, en vue de protéger le mode de vie établi par cette nouvelle position
contre un retour du mode précédent d'existence animale. C'est là un résultat de recherches
scientifiques venant s'accorder de façon curieuse avec les préjugés banals souvent formulés. De
toute façon ce ne sont là que suppositions encore incertaines et sans consistance scientifique.
N'oublions pas non plus que, malgré l'indéniable dépréciation des sensations de l'odorat, il existe,
même en Europe, des peuples qui apprécient hautement la forte odeur des organes génitaux à titre
d'excitant sexuel, et ne veulent pas y renoncer. (Voir à ce sujet les constatations auxquelles a
donné lieu l'enquête menée par Iwan BLOCH dans le domaine du folklore sur : Le sens de l'odorat
dans la vie sexuelle, et parues dans divers bulletins annuels de l'Anthropophyteia de Friedrich S.
KRAUSS.)
Sigmund Freud (1929), Malaise dans la civilisation (trad. française, 1934) 35
V
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La pratique de la psychanalyse nous a enseigné que ces privations sexuelles ne
sont précisément pas supportées par les gens appelés névropathes. Ceux-ci se procu-
rent dans leurs symptômes des satisfactions substitutives qui, ou bien les font souffrir
par elles-mêmes, ou bien deviennent source de souffrance en leur préparant des
difficultés avec le milieu ou la société. Ce dernier cas est facile à comprendre, alors
que le premier nous propose une nouvelle énigme. Or la civilisation, en plus des
sacrifices sexuels, en exige encore d'autres.
C'est concevoir le laborieux développement de la civilisation comme une diffi-
culté évolutive d'ordre général, que de le ramener, comme nous l'avons fait, à une
manifestation de l'inertie de la libido et à la répugnance de celle-ci à abandonner une
position ancienne pour une nouvelle. Nous en restons à peu près au même point en
faisant découler l'opposition entre la civilisation et la sexualité du fait que l'amour
sexuel est une relation à deux, où un tiers ne saurait qu'être superflu ou jouer le rôle
de trouble-fête, alors que la civilisation implique nécessairement des relations entre
un grand nombre d'êtres. Au plus fort de l'amour, il ne subsiste aucun intérêt pour le
monde ambiant . les amoureux se suffisent l'un à l'autre, n'ont même pas besoin d'un
enfant commun pour être heureux. En aucun cas, l'Eros ne trahit mieux l'essence de
sa nature, son dessein de faire un seul être de plusieurs ; mais quand il y a réussi en
rendant deux êtres amoureux l'un de l'autre, cela lui suffit et, comme le proverbe en
fait foi, il s'en tient là.
Sigmund Freud (1929), Malaise dans la civilisation (trad. française, 1934) 36
Jusqu'ici, nous pouvons fort bien imaginer une communauté civilisée qui serait
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